8 BALL AITKEN: 8 Ball Aitken (2016)
Tracklist:
01. She's Going To Mexico, I'm Going To Jail (3:13)
02. Seven Bucks An Hour In A Chicken Suit (3:57)
03. Shut The Front Door (2:37)
04. Girl In A Million (3:37)
05. Sleepy (3:25)
06. Monkey In A Suit And A Tie (3:18)
07. Skydive (2:56)
08. Witness Protection (3:25)
09. Underneath The Stars (3:29)
10. Mile In My Shoes (4:44)
11. Yellow Moon (4:01)
12. Outback Booty Call (2:43)
Basé depuis quelques années à Nashville, 8 Ball Aitken a investi depuis quelques années les « charts » country de… l'Australie. Issu d'une lointaine famille écossaise qui lui a légué une couleur de cheveux assez typique et qui est depuis des années fixée dans le Far North Queensland, cette région tropicale aisément localisable qui forme la péninsule du Cap York, la petite pointe se détachant au nord-est de l'Australie près de la Mer de Corail, notre rouquin congénital a déjà sorti plusieurs albums. En fait le CD chroniqué ici est une compilation qui fait la part belle à l'album de 2015 The New Normal (sept titres !) mais qui comporte aussi trois titres tirés de l'album de 2013 Southern Hemisphere, et deux titres de l'album de 2008 Rebel With A Cause. La curiosité de cette compilation consiste à avoir opéré une sorte de dégradé regroupant les titres par groupes de deux ou trois associés par une sorte de point commun, et d'avoir fait se succéder ces groupes sans les mélanger. La musique mêle des influences country et blues avec des éléments franchement rock. Si on ajoute comme on va le voir un jeu en slide original et très intéressant, cela peut nous nous pousser à considérer musicalement notre Australien comme un proche voisin de notre cher rock sudiste, même s'il n'en revendique pas du tout le folklore.
La compilation commence très fort : on se demande par moment si on n'est pas tombé dans un disque de métal avec d'emblée une puissante rythmique dans les graves qui décolle l'auditeur de son siège en puisant dans des influences stoner. Mais celle-ci s'humanise et harmo et violon viennent apporter une touche country pour raconter une sorte de road movie dynamique rempli d'humour au second degré sur l'histoire d'un délinquant looser qui se fait doubler par sa meuf et se retrouve à porter le chapeau pour les deux, le titre du morceau (« She's Going To Mexico, I'm Going To Jail ») résumant assez bien l'affaire. Toujours dans le style parodique, « Seven Bucks An Hour In A Chicken Suit » nous expose une nouvelle manifestation d'humour, dans une ambiance plus countrysante, mais toujours pleine d'allant. Le truc, c'est que là la slide de notre chanteur commence à pointer le bout de son nez, au point de nous en faire un festival en guise de final, et croyez-moi, car ça va revenir en permanence, le gars sait manier un bottleneck ! Arrive le dernier membre du premier trio, un original titre de country-blues-rock hypnotique, rempli d'énergie punkoïde un peu à la façon de certains titres des Pretenders : comme les premiers groupes sudistes, Aitken a laissé traîner l'oreille du côté du Royaume-Uni. Sympathique. Après cette forte entrée en matière, on aborde le côté country qui lui a permis de se faire sa réputation avec un redoutable duo de ballades. « Girl In A Million » nous emmène directement vers une ballade country sentimentale très classique de facture, mais très bien faite, où la slide imparable du chanteur vient poser ses motifs sur un fond de « pedal steel » langoureux. On continue dans le domaine de l'intime et du sentimental avec « Sleepy » une autre très jolie ballade country très mélodique, dont le refrain accrocheur se retient instantanément. On se doit de pointer aussi un superbe solo de slide, pour changer...
On aborde ensuite un duo qui avance tout seul, sur fond de rythmique à l'orgue un peu à la façon des Neville Brothers. Cela commence avec un titre relax seulement en apparence, pour un portrait plutôt sombre qui joue des appuis de slide, et où Aitken n'hésite pas à jouer du kazoo pour appuyer ses effets. On enchaîne, toujours soutenu par un orgue bavard, sur un titre bluesy empreint d'humour (pas besoin de parachute pour une plongée dans le ciel mais si tu le tentes une fois, difficile de le faire deux fois !). On ne saurait passer à côté d'un super solo de slide pendant que virevolte autour un harmonica enjoué. Vraiment bien foutu ! Le trio qui prend ensuite place fait de la place à ces dames, en commençant par un titre qui confirme le caractère sudiste de l'artiste : banjo et guitares acoustiques accompagnent une ballade bluesy tendue, poisseuse, racontant une enquête menée par une journaliste sur le côté obscur de la vie sociale, ce qui justifie les chœurs féminins très présents sur le refrain. Brève mais superbe envolée au bottleneck pour un morceau plus sombre que la moyenne. Par contraste, on plonge alors dans « Underneath The Stars » un petit joyau, clairement un des sommets de cette compilation et certainement un des morceaux les plus « tubesques » de l'album : une irrésistible ballade acoustique très rythmée sur des paroles amoureuses, pleines de rêve, presque adolescentes, au refrain repris avec une deuxième voix féminine. On notera bien entendu un solo en slide juste avant le pont, où se distingue la basse, pont indispensable pour reprendre ensuite avec force le thème principal. La slide refera une spectaculaire apparition pour le solo final sur fond de chœurs féminins. Et cela continue avec « Mile In My Shoes », un titre d'ambiance parlant des problèmes d'un couple sur fond de guitare acoustique soutenue par l'orgue, et là pas de simples chœurs mais carrément un duo entre le père Aitken et une chanteuse, morceau prenant débouchant sur un solo de slide expressif et quasiment planant. Le titre se termine après une fausse fin par un final presque psychédélique appelant aux grands espaces avec solo de slide gorgé de feeling tout en restant très maîtrisé. Mais le bonhomme s'est assez épanché avec le sexe féminin et il est temps d'en finir, en trombe si possible avec un duo de boogies commence par « Yellow Moon », un galopant titre dans la lignée de Canned Heat ou « Spirit in the Sky », rompu par des breaks avec dérapages de slide. On se laisse prendre dans l'ambiance tellement c'est bien fait avant que sur la fin l'harmo ne vienne confirmer la parenté avec le groupe de Fito de la Parra.
Pour terminer, le boogie se fait plus britannique sur fond de virée en ville avec des relents de pub rock mais en gardant un côté très rural (banjo) : est-il utile de préciser que notre guitariste s'amuse bien avec son bottleneck ? Bref, ça remue, ça secoue avec un côté jouissif. Le plaisir avant tout ! « So that's the boogie ! », termine notre homme avec un visible sentiment de satisfaction. Cela tombe bien : nous aussi nous sommes très satisfaits, on en redemande et si cet album constitue une bonne entrée en matière pour l’œuvre de notre Crocodile Dundee, certains auront peut-être plus l'envie de revenir directement aux originaux, à savoir les trois albums pré-cités.
En tous cas, cet Australien fait partie des tous bons, et nous fait attendre avec impatience son prochain album qui devrait valoir son pesant de cacahuètes si les requins de… Nashville ne le mangent pas. Le talent évident tant de « performer » que de « songwriter » du bonhomme ne fait aucun doute. Par moments, on croirait assister à de véritables petits films tant il arrive en quelques mots à poser le cadre de son intrigue. On pense par moment à la qualité d'écriture d'un Mark Knopfler, rien de moins, qui aurait aussi une énorme faculté d'autodérision et de capacité hilare à aborder des thèmes complètement saugrenus. Quand en plus son jeu de slide mérite vraiment le déplacement, on peut se poser la question : un futur Grand ? Espérons-le pour nos oreilles. Un dernier mot : ses vidéos reflètent le mélange d'humour quelquefois absurde et de tendresse de ses textes, alors si vous en croisez sur les sites dédiés, ne les boudez pas.
Y. Philippot-Degand